Marrakech
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Voyage vers Marrakech : H00tel,Restaurant,Jardin Marrakech - Maroc

Place Jemaa el Fna dans les écrits d’Andre Chevrillon

Marrakech dans les palmes

« Marrakech, novembre 1917
Mais aujourd’hui, ce n’est pas ce paysage qui prend d’abord les yeux. L’immense et multiple place du Trépas est à nos pieds, et, jusqu’au fond des espaces divers que sépare le grand fondouk aux grains, une multitude l’emplit de son pointillement. Et de partout, monte avec la poussière que le soleil déclinant colore, un bruit innombrable, étrangement rythmé, fait de la rumeur d’une foule et de cent musiques mêlées, plus sauvages dans leur confusion. Mais l’oreille, à la fin, distingue des sonorités diverses : de clairs, obstinés tintements de métal, d’aigres mélopées de musettes, de psalmodiantes voix humaines, et par-dessous, ces profondes percussions de tam-tams, qui semblent mener tout le vaste et vague sabbat.
Et la confusion de la foule, aussi, finit par se débrouiller. Des cercles s’y révèlent, entourés de masses plus épaisses ; et puis, au milieu de ces anneaux, des figures mouvantes, et qui s’espacent un peu. À la jumelle, je vois même très bien les plus proches, juste au-dessous de la terrasse. Ce sont des jongleurs et conteurs, et la foule est grande autour d’eux. À grands gestes drapés des bras, ceux-ci vivent leurs histoires. Torse mince, dont luit le bronze, échine creuse et qui ondule, crâne rasé par devant, longue chevelure annelée répandue sur les épaules, les charmeurs de serpents me rappellent, en leur demi-nudité, des figures de l’Inde, de frénétiques, extatiques prêtres de Siva. Des lutteurs s’escriment du bâton, bondissant, retombant sur la pointe du pied, avec des mouvements d’oiseaux, si justes, si légers, qu’on dirait la plus délicate et la mieux concertée des danses. Presque à nos pieds, en deux cercles voisins, deux troupes étranges, des hommes, des enfants, en surplis blancs, et ceinturés de rouge (on dirait des enfants de chœur), évoluent, et puis se mettent à tourner sur place. À côté, une chose inquiétante : ce rang serré de têtes, d’épaules qui ondulent, toutes ensemble, dans l’épaisseur de la foule, soulevée au même rythme, comme par une houle qui court de l’une à l’autre. Faces stupéfiées, demi-renversées vers le ciel (on voit bien que les yeux sont clos) : on dirait une grappe de pendus convulsés, sursautant au bout d’une invisible corde. Mais de cette sinistre oscillation, monte une rauque clameur scandée, la clameur des Aïssaouas en délire.
Nous sommes en pleine fête de l’Achoura, qui commence par des jours de jeûne, de deuil et de prière. Mais après le recueillement et le souvenir des morts, voici la détente des âmes dans les liesses, ivresses collectives. À tout moment de l’année, le soir, on voit s’épaissir de tels cercles sur la vieille place du Trépas, autour des baladins, musiciens, thaumaturges. Mais en ces jours de fête, une foule venue des tribus s’ajoute à la foule Merrakchi. Ils sont bien en tout plusieurs milliers, et c’est un fourmillement d’une pâleur bien étrange, couleur de laine, qui s’en va, à droite, jusqu’au souk des vanniers, et devant nous, jusqu’aux rangs de noires tentes berbères, de l’autre côté du fondouk ―le grand fondouk, dont j’aperçois la cour intérieure pleine de sacs et de chameaux terreux.»


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